Philippe Prisset, le directeur de l’école de Kérandon, a décidé d’ouvrir son cœur et de parler cash. Il en a ras le bol de l’image donnée au quartier, « qui ne correspond pas à la réalité ». Par ailleurs, il estime que la filière bilingue devrait pouvoir accueillir davantage d’enfants, mais que là aussi c’est la mauvaise image, injustifiée, du quartier qui nuit à son développement

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Entretien avec

Philippe Prisset, directeur de l’école de Kérandon depuis la rentrée 2015.

Vous vous insurgez aujourd’hui contre l’image donnée à Kérandon. Un cri du cœur ?

Le quartier de Kérandon a le plus fort taux de pauvreté du département. 51 % des habitants qui y vivent sont en dessous du seuil de pauvreté. Le quartier a, certes, une problématique sociale très forte, mais depuis une vingtaine d’années, la situation a changé par rapport à la délinquance. La mauvaise image de violence aux personnes et aux biens qu’il donnait dans les années 1990-2000, n’est plus d’actualité aujourd’hui. Même au niveau de l’école. Le climat s’est vraiment pacifié.

Pourtant l’image persiste ?

Aujourd’hui encore, il y a des Concarnois qui ne passent jamais par le quartier de Kérandon. Même pour faire leurs courses. Ils en ont une image totalement dégradée, qui ne correspond pas à la réalité. Pourtant, avec les travaux de rénovation qui s’achèvent, il y a vraiment une volonté de réintroduire Kerandon dans la ville. Mais une image de marque, quand elle est faite, avant qu’elle change, il faut du temps. Même pour les enfants ou les jeunes qui habitent le quartier, quand tu dis que tu es de Kerandon, pour trouver un emploi, c’est beaucoup plus difficile. C’est très ostracisant.

D’où selon vous l’importance de communiquer ?

Je veux aussi communiquer sur le fait que Kérandon est une super école avec beaucoup de matériel, dans laquelle la mairie a beaucoup investi. Ce serait vraiment dommage que ce super outil de travail ne soit pas utilisé à son potentiel par rapport à ce qu’il s’est passé il y a 10 ou 15 ans.

Combien d’élèves compte l’école ?

Les effectifs sont plutôt stables depuis 2015. Nous avons près de 90 élèves, dont 70 à 80 % vivent à Kérandon. Mais avec la filière bilingue, nous avons des élèves de l’extérieur. L’école, à l’origine, était dimensionnée pour 16 classes. Aujourd’hui, on en a cinq. Mais certains enfants du quartier vont dans d’autres écoles. C’est toujours la même problématique d’image. Leurs parents ont l’impression que c’est mieux qu’ils aillent étudier à l’école du Dorlett ou du centre-ville.

Quel bilan faites-vous de la filière bilingue ?

L’État, à travers l’Éducation nationale et la mairie, a fait le choix d’installer l’école publique bilingue à l’école de Kérandon, pour introduire un peu de mixité sociale. Mais je trouve très dommage qu’en fait, nous ayons une filière bilingue qui ne soit pas à la dimension d’une ville de près de 20 000 habitants. Je suis sûr qu’il y a énormément de parents qui mettraient leurs enfants dans la filière bilingue, si elle n’était pas à Kerandon. Je pense que, là aussi, on a un déficit. C’est dommage pour les gens qui croient dans la culture bretonne. Tout est lié. Comme la filière bilingue publique à Concarneau est assez pauvre, du coup derrière, il n’y a pas de classes bilingues aux Sables-Blancs ou au Porzou pour continuer.

Quels sont vos arguments pour valoriser l’école ?

Nous avons une super équipe, avec des professeurs bilingues très impliqués. Comme les enfants sont dans des problématiques sociales assez fortes, du coup, les enfants et leurs familles s’investissent beaucoup dans l’école. C’est très gratifiant pour nous. Les enfants adorent venir à l’école. Et puis, je me renseigne d’année en année. Les élèves sont au même niveau scolaire que ceux des autres écoles de la ville. Non, Kerandon n’est pas une école low cost !

Quel est votre objectif ?

Je ne voudrais pas que ce soit vécu comme une compétition entre écoles publiques. Mon but, c’est de remettre l’école de Kérandon au niveau des autres. Qu’elle ne soit plus dans l’imaginaire collectif comme un repaire de gamins perdus. Ce n’est pas ce que l’on vit. Ce n’est pas notre quotidien. Même si aujourd’hui le bouche-à-oreille commence à fonctionner. Et puis avoir une certaine mixité sociale, c’est important. C’est l’école de la République. C’est pour cela que l’on se bat.

Un article de Catherine GENTRIC pour Ouest France